gentil ou pasUn résumé d’étude un peu rapide ou une étude peu rigoureuse?

« La gentillesse est à la mode. Pourtant, ce qui est perçu comme une qualité peut s’avérer être un handicap.

Bien sûr, nous inventons parfois des excuses pour ne pas nous sentir vraiment concernés. Mais qui trouverait superflu d’être traité avec égard et bienveillance… par les autres? Pour tous ceux qui restent hermétiques aux «journées de la gentillesse » et autres injonctions sociales à l’affabilité, lisez cette étude publiée en juin 2015 qui présente le gentil sous un angle moins rose : Personality predicts obedience in a Milgram paradigm, Journal of Personality, 83, 299-306, Bègue, L., Beauvois, Courbet, D., Oberlé, D., Lepage, J., Duke, J. (2015). »

Source : Petit éloge du « pas gentil » – HBR

Cet article de Harvard Business Review France rédigé par l’un des contributeurs de l’étude en référence semble tirer des conclusions bien raccourcies. Je ne sais pas si le sujet et le titre ont été simplement choisis pour être accrocheurs ou si l’étude elle-même souffre aussi des biais classiques. Sans avoir besoin de lire l’étude, il est clairement entendu que la conclusion est qu’être gentil nous rend plus sensible à la pression d’un groupe et à la soumission de quelqu’un à qui nous accorderions une confiance excessive. Jusqu’à nous donner la capacité à devenir de meilleurs tortionnaires. La gentillesse est, donc ici, définit précisément comme synonyme de soumission. Ce qui me semble vraiment surprenant.

L’expérience détaillée pour expliquer la conclusion est une version remaniée de la célèbre expérience de Milgram sur la soumission à l’autorité réalisée entre 1960 et 1963. Tout d’abord, il a été reproché à Milgram d’avoir un peu trop manipulé ses données pour obtenir le résultat escompté. Ses conclusions ont été remises en cause récemment (« A-t-on mal interprété «l’expérience de Milgram», une des plus célèbres de l’histoire de la psychologie?« ). Ensuite, cette dernière expérience française a mis en évidence que les personnes aimables et gentilles avaient été plus soumises que les autres aux ordres sadiques. D’où la conclusion rapide : gentil = soumis = danger pour les autres.

La psychologie est une science sociale dite « molle » si on la compare aux sciences « dures » comme, par exemple, les mathématiques. Elle est molle car, d’une certaine manière, sa rigueur possède des contours … pas très bien définis. Et qu’il est, en tout cas, difficile de décrire de manière absolue les objets qu’elle étudie (exemple : Qu’est ce que la conscience? La conscience très étudiée par la psychologie est particulièrement ineffable). En outre je rejoins l’avis de John Ioannidis, professeur à Stanford, qui dénonce le fait que la plupart des découvertes soient fausses (« Un chercheur dénonce l’inutilité de nombreux travaux scientifiques« ).

Si la gentillesse est synonyme de soumission cela devrait être parce que 100% des gentils ont accepté cette soumission. Je ne crois pas que ce résultat ait été obtenu avec cette étude. Il se peut que tous les soumis soient gentils par contre, l’étude ne le dit pas. Même les professionnels des études (« les scientifiques ») ont encore un peu trop tendance à confondre corrélation et causalité (« Le chocolat engendre-t-il des tueurs en série ?« ). Pour comprendre la différence prenons simplement cet exemple : A chaque période de l’année où les feuilles des arbres tombent (l’automne) il fait plus froid. Conclusion hâtive : les feuilles tombent périodiquement et rafraîchissent l’atmosphère. Il y a bien une corrélation entre le fait que les feuilles tombent et le froid mais, d’abord, la réduction de l’exposition solaire est une cause importante et, surtout, la causalité n’est pas dans ce sens. Là donc, double erreur : toutes les composantes d’un événement n’ont pas été étudiées et la causalité est dans un sens inverse à celle proposée.

La conclusion de cet article :

« Il n’est donc pas certain qu’une gentillesse synonyme de soumission soit toujours bénéfique aux individus et à la société. Que faire pour limiter ce risque ? Instaurer une journée de la méchanceté ? Non, mais se demander si la gentillesse envers quelqu’un ne fait pas de victimes collatérales. On peut alors en conclure deux choses : la gentillesse mérite d’être couplée à la lucidité pour rester une force ; on ne peut pas exclure que les personnes désagréables se transforment en d’héroïques rebelles dans certaines circonstances. »

Présenté ainsi ce sujet laisse à penser qu’il est risqué (pour les autres!?!) d’être gentil à moins que, comme le modère l’auteur, d’être lucide. Lucide? Je ne sais pas ce que Monsieur Bègue entendait par « lucide » exactement, c’est tout le problème de la définition des mots et des états quand on tente de les étudier scientifiquement (si tant est que cela soit possible). Car être gentil revêt aussi plein d’aspects comportementaux. Et il est question là plutôt d’être gentil ET manipulé PARCE QUE non lucide. Quand on est manipulé on est pas très lucide c’est assez évident. Mais un méchant non lucide restera toujours TRES dangereux. A quoi sert cette étude?

Pour finir j’adore la conclusion toute finale qui suit une logique toute aussi magnifique : gentil pas lucide = soumis = dangereux =>(implique)  non soumis = désagréable = héros dans certaines circonstances !

Je suis vraiment étonné que cet auteur avec un « curriculum vitae » aussi élitiste n’ai pas pas pris plus de temps à (mieux) rédiger cet article, surtout pour HBR. D’autant que la gentillesse et la bienveillance, si mal considérées et si faibles aux yeux des (faux) hommes de pouvoir, n’ont pas besoin de si « courtes » conclusions.

La gentillesse, de mon point de vue, doit être un préalable à la relation à soi et aux autres, mais dans le respect d’un certain équilibre. Il faut, certes, être lucide pour cela. Nous pouvons être gentils et insoumis aux tentatives de manipulation. Nous pouvons être gentils dans la plupart des cas sans mettre en danger autrui. Nous pouvons être gentils et savoir se faire respecter. Nous pouvons être gentils et nous comportez comme de véritables héros justement parce que notre empathie est un moteur formidable pour aider et sauver autrui.

Si l’on considérait moins la gentillesse comme une faiblesse, nous la confondrions moins avec une soumission. Restons lucide.

 

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