A l’occasion de la tournée de Matthieu Ricard auprès des médias pour la vente de son livre (dont les bénéfices reviendront à une association – pour ceux de son éditeur ce n’est pas certain) un article est paru dans Le Monde du 26 mai (online).

Après lecture complète de cette parution je suis bien surpris que Matthieu Ricard, notre moine bouddhiste national, fasse la promotion de la MBSR comme label indispensable à la profession d’instructeur en méditation.

Ou comment alimenter encore la confusion en France entre tous les sujets sur la méditation, la pleine conscience, la MBSR, le bouddhisme

Méditation

La « méditation » en français est un terme qui nous met mal à l’aise puisqu’il fait référence, dans notre imaginaire, à un univers religieux de type sectaire.

Le mot méditation vient du latin meditor, fréquentatif de medeor. Meditor signifie : réfléchir à.. Medeor : prodiguer des soins. La version fréquentative serait issue de la notion de « répétition de soins », d’où l’idée qu’apporter des soins régulièrement c’est prêter une attention répétée à quelque chose.

Le monde médical préfère souvent ne retenir que l’origine étymologique en lien avec « soigner » pour justifier l’apport thérapeutique de la méditation. Mais la méditation est avant tout une activité du mental qui, suivant les courants, est l’exercice de base dans l’univers bouddhiste pour obtenir le calme mental nécessaire à l’éveil spirituel.

Dans le bouddhisme, la méditation est une marche éclairée sur le chemin qui amène à la délivrance de la souffrance. Elle est un entrainement à une disposition d’esprit qui doit être maintenue dans toutes les activités du quotidien (le Sati – nous y reviendrons). La méditation sur la voie du bouddha est très fortement associée au développement et à l’entretien de la bienveillance et de la compassion étendues à l’ensemble des êtres vivants. C’est un parcours clairement spirituel.

Mindfulness

Ce terme anglais vient de la traduction du terme Sati en Pali, qui est la langue parlée du bouddhisme tibétain. Le Sati fait référence à la notion d’Attention, qui est, d’après par les textes anciens et confirmée par les neurosciences, l’action de mettre en mémoire, de prendre note, de prendre conscience de l’objet de sa concentration. L’Attention est effectivement, selon les recherches scientifiques sur le sujet, une disposition cérébrale qui met en mémoire ce que les sens perçoivent, en utilisant la mémoire de travail exécutive.

« Des centaines de millions de personnes méditent sans psychologue, ni médecin, ni MBSR, ni même pleine conscience. »

La traduction de Mindfulness en « pleine conscience » renvoie davantage pour un francophone au principe de pleine utilisation de ses sens et de son esprit. La confusion réside dans la croyance que l’état recherché à travers la méditation en pleine conscience serait proche d’une pleine sensibilité sensorielle à toute chose. Ce qui n’est pas le sens précis de ce qui doit être enseigné. Ensuite, la notion même de « conscience » exprimée ainsi semble faire référence à une conscience spirituelle qui ne trouve pas beaucoup d’écho dans la culture française. Contrairement à la culture anglo-saxonne beaucoup moins athée que la notre, et plus ouverte au New Age.

MBSR

La MBSR (Mindfulness-based stress reduction) est un programme de thérapie cognitive et comportemental développé aux Etats-Unis par Jon Kabat-Zinn, qui utilise une combinaison de méditation de pleine conscience, de conscience du corps et de yoga, pour aider à être plus présent, moins dans la rumination mentale. C’est un traitement qui a été préalablement prodigué au sein de la Clinique du Stress que Jon Kabat-Zinn a fondée en 1979.

Ce programme a fait l’objet de nombreuses études scientifiques et médicales pour justifier son efficacité.

Alors la méditation : spiritualité ou entraînement mental ?

La MBSR est un protocole thérapeutique surtout utilisé par la médecine et la psychologie. La pleine conscience est un concept purement bouddhiste. Que Matthieu Ricard, prince des cobayes méditatifs, incarne à ce point le lien entre les deux univers accentue le mélange des genres, même si l’un s’inspire de l’autre.

M. Ricard diffuse les valeurs du bouddhisme en faisant le plaidoyer de l’altruisme et de la bienveillance et nous vante les bénéfices de la méditation, c’est parfait. Mais considérer que la MBSR est le standard à suivre pour l’apprentissage de la méditation semble être un parti-pris assez surprenant.

Comment un moine bouddhiste peut affirmer cela? Est ce que les instructeurs de méditation dans les centres bouddhistes français sont certifiés MBSR? Bien sûr que non. Vous allez me dire : « Oui mais ils sont bouddhistes donc non-laïcs, ils n’en ont pas besoin puisqu’ils ne sont pas dans une démarche thérapeutique »…

Est-ce que le fait qu’ils soient dans une pratique spirituelle leur confère pour autant une garantie de probité et de compétence ? Certainement pas. Et pourtant ils enseignent des techniques, hors protocole MBSR, qui soulage la souffrance, sans démarche thérapeutique à proprement parlé.

Donc nous avons d’un côté les pratiques de méditation « spirituelles » et de l’autre le protocole médico-psychologique et thérapeutique de la MBSR. Et Matthieu qui fait le grand écart parce qu’en étudiant son cerveau à l’aide de puissants IRMf il sert les 2 extrémités.

Je comprends le discours : « évitons les charlatans, faisons appel à des gens sérieux ». La démarche est louable et je suis personnellement promoteur de la MBSR. Mais je ne suis pas bouddhiste !

Matthieu Ricard fait partie du Mind and Life Institute, dont l’un des membres honoraires est notre cher Dalaï Lama. Il affirme que cet institut « refuse tout lien avec des sociétés commerciales, y compris les laboratoires pharmaceutiques ». Et pourtant, Jon Kabat-Zinn fait partie du board des directeurs. Monsieur Kabat-Zinn est le principal « inventeur » du protocole « MBSR » dont il fait la promotion dans le monde entier, à grands coups d’études scientifiques qui vont dans le bon sens. Il est le fondateur du Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society au sein de The University of Massachusetts Medical School. Attaché à ce centre il existe l’ OASIS INSTITUTE  («  Our institute for mindfulness-based professional education and training is a school for a new generation of professionals intent on learning, from the inside out, how to integrate mindfulness into their disciplines and endeavors. Training teachers of MBSR is at the core of the Oasis Institute mission. »)

20 000 personnes (dont je fais partie) ont déjà suivi le programme de 8 semaines de MBSR de OASIS dont la vocation première est de former des formateurs. The Mind and Life Institute dont Matthieu Ricard fait partie vante les mérites de la MBSR dont son créateur et l’un des directeurs de l’Institut est le principal bénéficiaire de la vente des formations certifiantes d’OASIS.

Je n’ai aucun problème avec la commercialisation de formations MBSR, ni avec la MBSR, bien au contraire. Le travail de Jon Kabat Zinn est excellent et les résultats obtenus sont incontestables. La diffusion de cette approche dans le monde est un grand bénéfice pour la pratique de la méditation et la propagation de ces effets sur l’humanité. Et tant mieux si des gens gagnent leur vie avec cela car ils le méritent bien.

« La méditation c’est d’abord un exercice mental de durée limitée pour apprendre à obtenir naturellement un fonctionnement libre et serein de l’esprit durant toute la journée. »

Mais, dans l’apprentissage de la méditation il y a de la place pour tout le monde entre le bouddhisme et la MBSR. N’en déplaise aussi aux médecins et aux psychologues qui cherchent à s’accaparer le marché en prétextant de nécessaires précautions de santé dans le cadre de la thérapie. Car on peut méditer aussi pour l’efficacité et l’hygiène mentale.

Des centaines de millions de personnes méditent sans psychologue, ni médecin, ni MBSR, ni même pleine conscience. Et ces pratiquants vont globalement mieux qu’avant la méditation. Car rappelons que la sagesse et la sérénité viennent avec la méditation et qu’il n’est pas nécessaire d’être sage pour méditer.

Certes, dans les pratiques contemplatives, il peut exister quelques abus de faiblesses ou actes sectaires et quelques conséquences fâcheuses pour les psychotiques. Donc il faut rester vigilant…

La méditation est une expérience personnelle qui peut être guidée par un méditant qui a déjà expérimenté une partie du chemin et qui possède une certaine pédagogie pour partager son expérience. Chaque individu est unique et cette expérience de l’instructeur n’a pas nécessairement besoin ni d’un cadre psychologique et médical ni d’un cadre spirituel.

Précisons qu’enseigner la MBSR c’est plus enseigner la pleine conscience qu’enseigner la méditation. La MBSR est d’abord utilisée comme un outil thérapeutique. C’est la raison pour laquelle les médecins et les psychologues se l’approprient.

La méditation c’est d’abord un exercice mental de durée limitée pour apprendre à obtenir naturellement un fonctionnement libre et serein de l’esprit durant toute la journée. Un fonctionnement qui peut amener sur le long terme à une réalisation de soi.

Toute les méditations ne sont pas de pleine conscience. Les récentes études scientifiques qui vantent les bénéfices de la méditation concernent essentiellement celle dite de pleine conscience ou directement le protocole MBSR. Mais d’autres types de méditations apportent des résultats similaires. Certaines techniques de relaxation sont très efficaces aussi en ce qui concerne la réduction du stress, comme la sophrologie par exemple.

L’effet de mode se concentre sur la méditation de pleine conscience propulsée par les études sur la MBSR mais nombreuses sont les alternatives. Laissons tout le monde s’épanouir.

J’aurais préféré que Matthieu Ricard soit moins associé à la MBSR et reste davantage sur son champs spirituel et moral.

Le mélange promotionnel entre la science et la spiritualité peut sembler étrange dans ce cas précis, même pour servir l’éloge de la compassion et de la bienveillance. Ce n’est bon ni pour la science qui semblerait être sous influence spirituelle et perdre ainsi son crédit, ni bon pour la spiritualité qui en se désacralisant se galvaude.

Certains pourraient s’interroger à propos de la méditation de Deepak Chopra associé à la déesse des médias US, Oprah Winfrey, ou avec Chade-Meng Ta, grand promoteur de la méditation Googlienne avec son « échange de courriels en pleine conscience »  et sa « nouvelle voie vers le succès ».

Même si la méditation, vieille de 2500 ans, trouve son origine dans la spiritualité, séparons aujourd’hui clairement les 3 démarches :

  • l’entraînement mental en lien avec le corps (performances et prévention)
  • la thérapie (guérison)
  • le développement philosophique et spirituel (élévation)

Pour chaque démarche il y a un type d’instructeurs avec différents types d’approches et de techniques. A chacun de définir ses besoins sans suivre les parti-pris. En toute conscience.

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