Nul besoin de tirer sur l’ambulance.

Là n’est pas mon propos, la France perd collectivement, cela arrive fréquemment. Nous sommes même de sacrés champions pour cela. Mais personne n’est à blâmer. Le mental des Français, en général, est à blâmer, et surtout l’image que nous collons au domaine mental. Ce n’est pas une question de personnes mais une question d’état d’esprit général, une question concernant la place du mental et l’image de la réussite. Ce n’est pas du french bashing de ma part, c’est une interrogation sur les pistes pour se renouveler, un jour peut-être. La solution est dans l’image de la gestion mentale et certainement pas dans la personnalité des Français ou celle de leurs athlètes.

All Blacks - France - 2015 - AFP

All Blacks – France – 2015 – AFP

Il y a une différence de mon point de vue entre gérer son mental et faire de la psychologie.

Pour ce qui est de notre psychologie, un bel aperçu des réactions a été rédigé ici par l’Huffington Post et l’AFP. Il montre à quel point chacun y va de son jugement. Il montre aussi à quel point plus personne ne comprend plus rien. Plus personne n’a de solution. Nous sommes dans un « mental blackout » (face au All Blacks cela a du sens, non?). Nous le constatons aussi en dehors du sport.

La psychologie est l’étude des faits psychiques, des comportements et des processus mentaux. En France, son apprentissage universitaire passe majoritairement par une approche théorique de son domaine. Il suffit de se hisser au niveau d’un DESS pour « être » Psychologue (certes après quelques stages). Un bon bagage théorique et universitaire mais pas grand chose d’applicable sur la réalité, puisqu’il sert plus à étudier les faits (subjectifs) qu’à imaginer et mettre en oeuvre des solutions (concrètes). D’ailleurs, le champ de la recherche en psychologie n’en reste pas moins miné. La psychologie est une science humaine inexacte. Des chercheurs (270 plus exactement !) ont montré récemment que 2/3 des études psychologiques n’étaient pas reproductibles, donc n’avaient pas de signification pour la science.

Et pourtant, en France, par précaution et élitisme intellectuel, l’emploi d’un psychologue ou d’un psychiatre est privilégié pour des interventions qui concernent le comportement humain. D’où une forte propension à utiliser des approches de profilages psychologiques et de psychométrie pour offrir des solutions, souvent bancales, à des problématiques comportementales. Le XV de France en a essuyé les plâtres en 2011, le consultant de l’époque avait dressé leur profil psychologique et s’était un peu trop étalé dans la presse à leurs sujets. Il n’était pas psy mais il utilisait des modèles psychologiques. La psychologie étudie et construit des modèles pour mettre des individus dans des cases. Pas étonnant qu’une case à l’extrême d’un tableau n’arrive pas à jouer avec la case de l’autre extrême. Personne ne rentre dans une case. Encore moins si on lui demande de faire équipe avec une autre case.

La préparation mentale est autre chose. Elle se moque de qui vous pourriez être, elle vous donne la capacité d’être au meilleur de vous-même au sein d’une situation qui exige une performance. Et dans une équipe, peu importe qui vous êtes par rapport aux autres, la préparation mentale donnera le meilleur de ce que vous pouvez offrir sur le plan relationnel.

Pour cette Coupe du Monde, l’équipe française était accompagnée par un psychologue qui « restait à disposition de l’équipe et du staff ». Nous sommes assez loin d’une vraie stratégie de renforcement du mental, bien intégrée à la stratégie générale. Contrairement aux All Blacks dont le célèbre coach mental, Gilbert Enoka (« The Mind behind the All Blacks » comme le définissent les Néo-Zélandais), a su convaincre de l’intérêt de muscler le mental autant que le physique. Il explique très simplement l’importance de passer d’une red-head (esprit agité) à une blue-head (tête froide) pour refocaliser son attention sur les bonnes décisions et penser clairement dans des situations sous pression. Ce principe de base en gestion mentale est davantage valorisé dans une culture anglo-saxonne que française parce qu’il est pragmatique et simple. Les profilages psychologiques, affectionnée par les psychologues à la française, ne servent à rien dans cette situation. D’un côté, nous sommes sur l’optimisation des processus de performance, de l’autre, sur de la caractérologie.

Evidemment, je caricature pour mettre en évidence des oppositions qui ne sont pas toujours si franches. Certains psychologues français utilisent bien la visualisation et la relaxation en préparation mentale. Même s’ils ont quelques difficultés à contourner le fait que leur titre crée une certaine inquiétude dans l’esprit des gaulois (vis-à-vis de leur personnalité ou de leurs pathologies mentales). Dans l’armée française et dans les corps d’élite, on utilise aussi très bien les techniques issues de la sophrologie et adaptées par un médecin français : les TOP (Techniques d’Optimisation du Potentiel).

Donc, sur le plan méthodologique, nous ne sommes pas si mal engagés. Notre difficulté principale est d’ordre culturel. Avant de chercher à être efficaces, nous nous freinons pour des questions d’image, de fierté et d’ego. Une image ambiguë et négative entoure la recherche de performance, le succès et la réussite. Les Français aiment fanfaronner, faire les coqs, mais sans vouloir montrer qu’ils se donnent tous les moyens d’arriver au sommet. Ils gèrent leur image. Car c’est mal vu d’y rester trop longtemps. Une fois porté au sommet, ils savent qu’ils ne tarderont pas à subir la critique et la jalousie populaire. Nous adorons détester ce que nous avons trop aimé.

Le symbole flagrant de ce problème culturel et d’image s’exprime sur le terrain avec ce que nous, les Français, choisissons de faire, face au célèbre haka néo-zélandais. De nombreuses analyses ont dû être rédigées, depuis l’entrée en 1905, de cette danse guerrière avant les matchs. Je ne peux pas imaginer que nous ne comprenions pas qu’un rituel issu d’une culture primitive (au sens positif et fondamental du terme), associant démonstration de forces, mouvements et cris, en totale coordination, soit le meilleur moyen de galvaniser le corps et le mental et le meilleur déclencheur d’un état hypnotique (un Etat Modifié de Conscience) propice à une exigeante confrontation. Durant le haka, les All Blacks entrent en transe en allumant toutes les fonctions utiles à une compétition sportive, et signifient leur motivation et leur cohésion à l’équipe adverse.

Dans cette vidéo du haka de 2011, les Français se tiennent la main pour former une flèche humaine puis se rassemblent pour symboliser un mur. Je ne suis pas sûr que tous les rugbymen soient très à l’aise avec l’idée de se tenir la main, tels de petits garçons, face à une tentative d’intimidation. A ce propos, ils ne restent que très peu de temps dans cette situation.

Cette année, présentation du mur, bras dessus, bras dessous.

Sur le terrain de l’efficacité, ce sont, en fait, deux cultures qui s’affrontent.

Nous ne sommes pas obligés de renier notre culture pour copier cette « différenciation concurrentielle » mais nous pourrions nous poser la question de l’intérêt d’un autre petit gimmick pour faire entrer plus efficacement notre corps et notre mental dans la compétition, cela aurait pu nous aider. Une meilleure préparation du mental ne nous aurait pas nécessairement permis de gagner. Mais, au moins, déculpabilisons-nous de vouloir faire le maximum pour y arriver. Et ouvrons-nous plus à la dimension non-physique de la préparation.

Le mental, en France, doit changer d’image en abandonnant celle, anxiogène et théorique, de la psychologie. Changeons aussi l’image de la réussite et de ses moyens pour y arriver, en abandonnant notre, internationalement célèbre, ego gaulois.

 

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